AMÉRIQUE PRÉCOLOMBIENNE (archéologie et art) - Tendances actuelles de la recherche

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LES HAUTES CULTURES PRÉCOLOMBIENNES

Les recherches archéologiques en Amérique ont connu un développement sans précédent au cours des trente dernières années. On pourrait retenir comme indice de ce dynamisme le nombre croissant des participants aux différents congrès spécialisés et, en particulier, à la traditionnelle réunion annuelle de la Society for American Archaeology, qui a fêté son cinquantenaire en 1985. Si les États-Unis, avec quelque quatre mille archéologues en activité, disposent du plus important corps professionnel, d’autre pays, comme le Mexique, ont pratiqué des politiques de formation et de recrutement très actives. Bien que les recherches aient été souvent gravement affectées par les crises des différentes économies nationales, et malgré leur quasi-paralysie là où la violence s’est déchaînée (Guatemala, El Salvador, Nicaragua, Pérou), plusieurs pays d’Amérique latine jouent un rôle de plus en plus dynamique dans l’étude de leur propre passé. Le Britannique W. Bray ne reconnaissait-il pas en 1989 qu’il était devenu impossible de se tenir à jour dans le domaine de l’archéologie de la Colombie en ne consultant que les revues professionnelles de langue anglaise? Multiplication des recherches, diversification spatiale et temporelle des champs d’investigation, tout cela contribue peu à peu au progrès de nos connaissances. Au Pérou, par exemple, l’avancée peut-être la plus notable de ces dernières années (la découverte, au début des années quatre-vingt, sur la côte centrale, d’une série de sites monumentaux exceptionnels datant de la Période initiale – 1800-800 avant J.-C.) ne fait pas moins que remettre en cause la priorité que l’on reconnaissait depuis 1919 à Chavín de Huántar comme centre de manifestation de la plus ancienne grande civilisation sud-américaine.

Mais l’augmentation du nombre des recherches et leur diversification ne représentent qu’un aspect de l’évolution moderne de l’archéologie au Nouveau Monde. En fait, à partir des années soixante, un vaste mouvement de réflexion épistémologique et méthodologique a vu le jour avec l’apparition d’un courant qualifié à l’époque de new archaeology et présenté comme une véritable révolution à l’intérieur de la discipline. Pour les inventeurs de la new archaeology , le point fondamental est la mise en avant d’un nouvel objectif: la reconstruction des cultural processes , autrement dit des mécanismes généraux de la dynamique culturelle. Avec les quelques années de recul dont nous disposons à présent, il apparaît que l’impact de ce courant sur la pratique de l’archéologie tient moins à la revendication centrale de son programme qu’à l’adoption de méthodes et d’instruments théoriques particuliers.

En marge de cette tendance, et parfois en contradiction avec elle, l’archéologie contemporaine en Amérique est marquée par un autre phénomène: le développement des politiques de protection du patrimoine. Celles-ci se traduisent naturellement par l’adoption d’outils juridiques, en particulier pour lutter contre le pillage et le trafic d’objets; mais, sur le terrain, elles entraînent aussi des interventions de plus en plus fréquentes quoique souvent limitées par ce que subordonnées à différents impératifs (notamment économiques: programmes industriels, touristiques, etc.). Les quelques remarques qui suivent seront illustrées par des exemples empruntés pour la plupart à la Mésoamérique.

Développement de l’archéologie de sauvetage

L’accroissement des menaces qui pèsent sur les vestiges du passé et la prise de conscience, au moins au niveau officiel, de la nécessité d’une sauvegarde du patrimoine expliquent l’apparition et le développement d’une nouvelle forme d’archéologie, dite généralement «de sauvetage».

Au Mexique, en 1946-1947 déjà, la submersion imminente du site de Chupícuaro, au sud de l’État de Guanajuato, par les eaux du barrage Solis (sur le río Lerma), avait suscité le dégagement de plus de quatre cents sépultures pourvues de riches offrandes céramiques – récipients et figurines – et datées des derniers siècles avant notre ère. Depuis cette période, les exemples de découvertes effectuées dans le cadre de fouilles de sauvetage se comptent par dizaines et leur nombre n’a cessé de croître. On citera les travaux de la R.C.P. 500 du C.N.R.S. (à partir de 1977) sur les sites mayas de la vallée du Chixoy, dans les hautes terres du Guatemala, avant la mise en eau d’une série de barrages, ainsi que la récupération, presque ininterrompue depuis 1967, de vestiges aztèques, témoignages matériels de l’ancienne Tenochtitlán, à l’occasion de la construction du métro de Mexico. Ponctuelles, non orientées vers des objectifs scientifiques et organisées dans des conditions parfois difficiles, telles sont souvent les caractéristiques des opérations de sauvetage. Progressivement, toutefois, cette forme d’archéologie s’est structurée. La planification, au moins à moyen terme, des grands travaux mettant en danger des zones archéologiques (construction d’autoroutes, d’oléoducs, etc.) a permis, ces dernières années, la mise au point de véritables projets de recherche. D’une façon générale, on commence à se préoccuper de ces questions et à expérimenter des programmes qui visent à la protection et à la mise en valeur systématiques des patrimoines culturels. Aux États-Unis, l’archéologie publique et l’archéologie contractuelle sont désormais conçues dans le cadre d’une approche globale connue sous le sigle C.R.M. (Cultural Resource Management ). Au Mexique, l’Institut d’anthropologie et d’histoire s’est lancé, au cours des années quatre-vingt, dans la réalisation d’un premier inventaire national des sites et zones archéologiques accordant une place importante à l’enregistrement des destructions déjà subies et des périls auxquels est exposé chaque secteur particulier. Ainsi la part du hasard dans la découverte de nouveaux vestiges a-t-elle tendance à se restreindre, même dans le cadre de l’archéologie de sauvetage. Bien entendu, il existe des exceptions: deux d’entre elles méritent d’être présentées. Le site de Cacaxtla, dans le municipe de Nativitas, à proximité de la ville mexicaine de Tlaxcala, était connu des spécialistes depuis de nombreuses années. Des chroniques datant des premiers temps de la colonie (XVIe et XVIIe s.) insistaient sur l’importance régionale du lieu et sur son caractère défensif. Des travaux archéologiques modernes, dans les années quarante puis à partir de 1970, avaient élargi nos informations sur le site. Or, en 1975, des fouilles clandestines réalisées par des pilleurs révélèrent l’existence de peintures murales d’un intérêt exceptionnel. Le sauvetage entrepris alors a abouti dans un premier temps à la libération de deux ensembles picturaux datés d’environ 800 et dont le style combine des éléments propres au haut plateau central mexicain et des traits manifestement étrangers à la zone dans laquelle ils se situent; certains pourraient provenir de la côte du golfe du Mexique, d’autres, plus nombreux, sont clairement mayas. Révélée et préservée par cette intervention d’urgence, l’importance du centre de Cacaxtla a engendré, depuis, un ambitieux programme de fouilles. Au cœur de la ville de Mexico, tout au début de l’année 1978, à l’occasion d’une excavation limitée pratiquée par des ouvriers de la compagnie nationale d’électricité, on découvrit un formidable monolithe aztèque sculpté, légèrement ovale (3 m sur 3,40 m env.), représentant la déesse lunaire Coyolxauhqui, sœur du dieu tutélaire des Aztèques, Huitzilopochtli. Cette trouvaille accidentelle fut le point de départ d’une des plus grandes fouilles jamais réalisées en milieu urbain, au cœur d’une capitale: elle a permis le dégagement de la pyramide principale de Mexico et de ses différentes étapes de construction. Ce dernier exemple est en fait assez exceptionnel, puisque les travaux ont été exécutés dans des conditions économiques et scientifiques excellentes et qu’ils ont fourni une somme incomparable de documents sur la culture matérielle aztèque, dont l’étude et la publication se poursuivent. Plus souvent, les entreprises archéologiques de sauvetage, malgré la place qu’elles ont prise, souffrent de graves handicaps, dont le principal est le même au Mexique qu’ailleurs: l’insuffisance chronique des moyens humains et financiers ne permettant pas d’aller au-delà des opérations de terrain, ce qui contribue à limiter le rôle de cette forme d’archéologie dans l’amélioration de nos connaissances.

Nouvelles approches et résultats récents

Présentation générale

Si l’on établit l’inventaire des programmes archéologiques récents et en cours en Amérique, on ne peut manquer d’être frappé par une certaine convergence des objectifs. Au premier rang des préoccupations affichées par la majorité des archéologues, on trouve la volonté de redécouvrir tel ou tel aspect des modes de vie des sociétés qu’ils étudient. Ces projets, fondés sur l’interprétation ethnographique des données, se situent peu ou prou dans la perspective des principes théoriques prônés par les tenants de la new archaeology qui, en réaction contre la visée essentiellement historique des recherches plus anciennes, ont privilégié l’étude du fonctionnement des civilisations disparues. Naturellement, il ne faudrait pas imaginer que l’archéologie contemporaine en Amérique est issue exclusivement de la new archaeology . Les interrogations de type ethnographique elles-mêmes sont bien antérieures aux années soixante, mais elles n’existaient, la plupart du temps, que comme préoccupations lointaines, inabordables parce que trop ambitieuses. La new archaeology en ses débuts s’est montrée, au contraire, résolument optimiste quant à la capacité de la discipline archéologique à restituer des pans entiers des sociétés du passé. Pourtant, à la suite de certaines critiques et surtout de quelques échecs manifestes, une plus grande prudence est de mise aujourd’hui. Elle se nourrit d’études théoriques et concrètes sur la nature et la qualité des vestiges étudiés, comparés aux comportements humains qu’ils sont censés révéler: l’intérêt renouvelé qui est porté de nos jours aux processus de formation-déformation des dépôts archéologiques ne peut que renforcer la solidité des inférences que l’on bâtit sur eux. C’est vers le même but que convergent aussi quelques-unes des meilleures études ethno-archéologiques récentes; la démarche de recherche ainsi désignée s’est véritablement structurée et développée dans les années soixante-dix; elle consiste à collecter dans les sociétés vivantes des informations matérielles susceptibles de favoriser l’interprétation des faits archéologiques, en tenant compte, autant que possible, des éléments qui contribuent à créer des écarts entre les sociétés du passé et celles du présent.

À l’origine, les théoriciens de la new archaeology avaient mis en avant, peut-être de façon plus impérieuse encore, un autre objectif: la recherche des causes du changement culturel; et ce n’est pas pour rien que G. R. Willey et J. A. Sabloff, dans leur histoire de l’archéologie américaine, ont donné aux chapitres qui traitent successivement des décennies soixante-dix et quatre-vingt le même titre, The Explanatory Period . Cette dernière dimension de la problématique, revendiquée avec force par L. R. Binford et d’autres («le but ultime de l’archéologie est la formulation des lois qui régissent la dynamique culturelle»), n’a cependant pas abouti à ce jour à des résultats incontestables; Binford lui-même semble avoir tiré des leçons de l’expérience, quand il recommande à l’archéologie de se concentrer sur les aspects du passé qui peuvent être inférés à partir des données proprement archéologiques (il se situe de la sorte au niveau de ce qu’il nomme la middle-range theory , par opposition avec la general theory , domaine interprétatif le plus abstrait et qui est l’affaire de toutes les sciences sociales). Ainsi, le mouvement né dans les années soixante a moins radicalement modifié les objectifs de la discipline que ne le pensaient zélateurs et adversaires de la new archaeology . Néanmoins, il a élargi le champ des activités archéologiques et donné une impulsion nouvelle à la pratique en proposant des concepts et des instruments de recherche qui se sont souvent révélés utiles. On notera en particulier le parti pris de considérer les sociétés comme des systèmes dont les divers éléments sont en interaction permanente. Par ailleurs, au niveau des stratégies, un des moyens mobilisés couramment par la recherche récente est le recours à des modèles; ceux-ci ont pour fonction principale de fournir des hypothèses qui doivent être postérieurement vérifiées. Sur un autre plan, le souci de quantification dans l’enregistrement et le traitement des données et dans les conclusions émises a été fortement réaffirmé depuis quelques années. Il coïncide heureusement avec la banalisation de l’utilisation de moyens informatiques. Finalement, l’archéologie, surtout depuis le début des années soixante-dix, a bénéficié des progrès de l’archéométrie et des sciences de l’environnement.

Recherches récentes sur les modes de vie

L’ethnographie des cultures passées comme celle des sociétés vivantes peut être décomposée en un certain nombre de chapitres qui ont été plus ou moins abordés en archéologie américaine au cours de ces dernières années.

Chronologiquement, subsistance et écologie constituent sans doute le premier ensemble de thèmes à avoir attiré l’attention des archéologues depuis trente ans. Dans une large mesure, l’intérêt pour ces thèmes découle de l’impact, en anthropologie en général, des thèses plus ou moins déterministes de ce que l’on a appelé «l’écologie culturelle». Au minimum, il s’est agi d’analyser les formes d’adaptation des cultures aux conditions des différents milieux. C’est peu ou prou dans cette perspective que de nombreux et souvent importants travaux ont été consacrés à l’agriculture, à ses origines et à l’apparition ainsi qu’au développement des techniques de production intensive. L’aspect central du vaste programme de recherches réalisé entre 1960 et 1965 par R. S. MacNeish et son équipe dans la vallée aride de Tehuacán (aux confins des États mexicains de Puebla et de Oaxaca) concerne ainsi l’alimentation. Tout au long d’une séquence chronologique qui s’étend des environs de 10 000 avant J.-C. jusqu’à la Conquête, on peut suivre l’évolution des modes de subsistance à travers une somme considérable d’indices directs (11 000 vestiges osseux animaux, plus de 100 000 vestiges végétaux) et indirects (outillage, localisation des sites, caractère saisonnier ou non de leur occupation). Et c’est sur ces bases que l’on constate à partir du VIe millénaire avant notre ère le développement, progressif mais irréversible, de l’agriculture aux dépens de la chasse et de la cueillette. Un nouveau procédé d’analyse, qui porte sur la chimie des tissus osseux des squelettes et permet de préciser les régimes alimentaires des populations disparues, a été appliqué depuis le début des années quatre-vingt à des ossements recueillis naguère à Tehuacán; les résultats obtenus suggèrent que la consommation des graminées a été rapidement plus importante que ne le montraient les seuls indices étudiés par MacNeish.

Des recherches parallèles sur les débuts de la domestication des plantes et des animaux ont été entreprises ailleurs, par exemple dans le secteur des Andes centrales. On pourrait citer ici les fouilles de l’URA 25 du C.N.R.S., dirigées par D. Lavallée, à Telarmachay (Pérou) entre 1975 et 1980: un de leurs enseignements principaux concerne la naissance de l’économie pastorale au cours du Ve millénaire avant notre ère.

À côté des origines de l’agriculture, un second domaine a fait l’objet de nombreux investissements scientifiques: celui du développement des techniques agricoles, en particulier des pratiques intensives de production. Un très grand nombre de régions d’Amérique ont été, à ce jour, étudiées sous cet angle. Par exemple, c’est surtout au cours des deux dernières décennies que l’on a écrit l’histoire du développement des techniques et des infrastructures qui ont assuré les succès de l’agriculture préhispanique au Pérou. On sait à présent que l’ancien Pérou a pu compter jusqu’à 35 p. 100 de terres cultivables de plus qu’aujourd’hui, en raison des multiples aménagements dont l’espace était l’objet. Dans certains cas, les recherches sur les systèmes de production agricole conduisent à des révisions plus ou moins importantes d’idées fortement ancrées dans les esprits. Il en est ainsi pour la zone centrale maya à l’époque classique: l’image traditionnelle des Mayas pratiquant exclusivement la culture sur brûlis dans la forêt tropicale et produisant seulement du maïs doit être aujourd’hui nuancée. Des travaux réalisés surtout dans les années soixante-dix ont permis de découvrir l’existence de diverses formes de production intensive, au moins durant la seconde période de l’époque classique (600-900 apr. J.-C.), formes appliquées à des espèces plus variées qu’on ne l’imaginait jadis. Ces découvertes résolvent en partie la contradiction entre une densité importante de la population – que l’on a commencé à envisager sérieusement dans les années soixante, quand on a cherché à connaître l’extension réelle de plusieurs sites – et une production agricole forcément limitée et au demeurant peu compatible avec un développement culturel vigoureux.

Un thème voisin du précédent, les échanges, a retenu aussi l’attention de plusieurs chercheurs depuis 1960. L’importance de la circulation des biens au début du XVIe siècle, dans certaines sociétés indigènes, est un point établi depuis longtemps. En ce qui concerne les époques antérieures, il a fallu attendre ces dernières années pour que l’on commence à disposer d’éléments de connaissance. Dans ce domaine, c’est l’application de techniques d’analyse nouvelles (fluorescence X, activation neutronique) à différents objets qui a permis de dépasser le stade des hypothèses. En Mésoamérique, l’obsidienne est certainement le matériau sur lequel le plus grand nombre de recherches a été entrepris: la quantification de certains éléments chimiques rares permet en effet généralement d’assigner une provenance aux fragments analysés. Actuellement, on a inventorié une trentaine de gisements, sur l’ancien territoire mésoaméricain, et plusieurs banques de données sur la composition des différentes obsidiennes ont été créées et s’enrichissent progressivement. La détermination des provenances ouvre la voie à l’étude des réseaux de communication entraînant des hypothèses sur la forme des échanges (commerce libre et direct, commerce en chaîne, commerce redistributif contrôlé par un ou plusieurs centres). Les études consacrées à la commercialisation de l’obsidienne, malgré un développement rapide, n’en sont pourtant encore qu’à leur début. La distribution d’éléments autres que l’obsidienne a aussi été prise en compte: poteries, objets de luxe en pierres dures, objets en coquillage, outils culinaires en pierre volcanique, sel, etc. D’une façon générale, l’examen des ressources naturelles propres à chaque zone et de leurs déficiences est devenu un chapitre habituel de toute étude archéologique régionale. Enfin, parallèlement à l’acquisition de données sur les activités commerciales des sociétés précolombiennes, les années soixante-dix ont vu fleurir des réflexions plus théoriques sur la nature et le rôle du commerce dans tel ou tel contexte. Ainsi, le développement paradoxal de la civilisation classique maya au cœur d’une zone apparemment pauvre en matières premières, à quelques exceptions près (silex à Tikal, sel à proximité des sites du rio Pasión), a incité certains chercheurs à accorder une place fondamentale au commerce dans les origines, le fonctionnement et l’effondrement de cette civilisation et à imaginer des systèmes hypothétiques d’échanges dont la réalité et le poids spécifique restent toutefois à confirmer précisément. De la même façon, il est séduisant, ainsi que l’ont fait plusieurs auteurs, d’interpréter l’histoire de la zone andine centrale et, en particulier, certains de ses épisodes comme l’apogée des États Wari et Tiwanaku, en utilisant le concept de sphère d’interaction économique.

Si les questions d’écologie culturelle et d’anthropologie économique ont occupé de nombreux chercheurs, le maître mot des études réalisées en Amérique depuis 1960 est incontestablement celui de «structure de l’habitat» (settlement pattern ). Sous ce vocable qui qualifie les modes de répartition des populations dans l’espace, plusieurs objectifs de recherches sont généralement mêlés: démographie, hiérarchie sociale et organisation politique. Les études des structures de l’habitat ou schèmes d’établissement sont donc depuis quelque temps, peut-être en raison de la diversité des informations qu’elles peuvent fournir, les opérations les plus fréquemment programmées. En ce domaine, une des études pionnières est celle qui a été réalisée dès les années quarante par G. R. Willey dans la vallée du Virú, au nord du Pérou. Depuis, les recherches au niveau des régions se sont développées, parfois aux dépens des fouilles sur des sites particuliers. On ne compte plus aujourd’hui les zones d’Amérique où des prospections visant à reconstituer les schèmes d’établissement ont eu lieu, qu’elles aient ou non pris appui sur la photo-interprétation de clichés aériens, qu’elles aient été partielles ou systématiques, ou encore qu’elles aient été conçues selon telle ou telle méthode d’échantillonnage (les deux dernières formes étant désormais les plus employées, car elles permettent une exploitation quantitative des résultats). Pour la seule Mésoamérique, il faudrait ici évoquer toutes les recherches menées sur le haut plateau central mexicain (région de Tula, zone du Morelos central, hautes vallées de Puebla-Tlaxcala), dans les hautes terres du Sud (État de Oaxaca), dans l’aire maya, dans l’ouest et le nord du Mexique. Mais le projet le plus spectaculaire et dont l’exécution a demandé plus de quinze ans est la reconnaissance systématique des vestiges archéologiques du bassin de Mexico, décidée lors d’une réunion de spécialistes qui se tint à Chicago en 1960. Plus de 5 000 kilomètres carrés furent quadrillés, des centaines d’établissements localisés et datés à partir du matériel céramique de surface, une évolution de l’importance de chaque site à chaque époque fut tentée, et on aboutit aujourd’hui à des inventaires et à des cartes d’occupation de la région par périodes qui constituent des approximations relativement satisfaisantes du peuplement ancien. Un des premiers résultats de travaux de ce genre est d’offrir la possibilité de mesurer en termes absolus, mais aussi, de façon moins ambitieuse et plus sûre, en chiffres relatifs les évolutions démographiques au sein de chaque région. Par ailleurs, les études de structures de l’habitat permettent de s’interroger sur les modes d’organisation sociopolitique préhistoriques. La constatation de hiérarchies entre les résidences et entre les communautés, l’examen des relations spatiales entre les établissements (groupement, dispersion) sont sources d’indices sur les réalités sociales et politiques. Cette approche peut être combinée avec des analyses portant sur les inégalités sociales que traduisent les sépultures, soit par les offrandes funéraires, soit même par les squelettes – lesquels montrent éventuellement des différences dans les conditions de nutrition et de santé; ces observations sont riches d’enseignements et ont été bien exploitées dans le cas des chefferies du sud-est des États-Unis par exemple, à la période Mississippi (à partir de 1 000 de notre ère). Du côté des Mayas de l’époque classique – mais c’est là un cas unique dans l’archéologie du Nouveau Monde –, les progrès dans le déchiffrement des inscriptions, en priorité celles qui figurent sur les stèles, ont commencé à préciser les relations de pouvoir entre plusieurs sites, que l’étude des schèmes d’établissement permet aussi de hiérarchiser.

Après avoir évoqué quelques-unes des recherches contemporaines pensées et dirigées en fonction de thèmes particuliers, il n’est pas inutile de signaler que certaines études modernes répondent à des programmes complexes et visent des objectifs multiples. Un fort bon exemple en est celui des travaux entrepris depuis 1962 à Teotihuacán et dans la vallée avoisinante. Les résultats obtenus à ce jour, pourtant incomplets, font de Teotihuacán l’une des cités archéologiques de grandes proportions (20 km2 et environ 150 000 habitants au moment de son apogée, entre 450 et 650 apr. J.-C.) les mieux connues du monde en termes généraux. Chiffres de population, habitat, activités économiques, différenciations socioprofessionnelles, importance politique, rôle religieux sont autant de domaines sur lesquels des éléments de connaissance ont été recueillis. Dans la zone centrale maya, les travaux de grande ampleur, un peu plus anciens, effectués à Tikal sous l’égide de l’université de Pennsylvanie nous ont donné aussi une image assez complète du développement et du fonctionnement de ce qui fut vraisemblablement le centre le plus puissant des basses terres du Sud au début de l’époque classique (avant 534 de notre ère). À Copán (Honduras) – où les premières recherches importantes remontent à la fin du siècle dernier – et dans ses environs immédiats, c’est sans interruption depuis 1975 que des projets archéologiques aux ambitions diverses et complémentaires se succèdent.

Tentatives d’interprétation des transformations culturelles

Le bilan des résultats ne semble pas ici aussi brillant que dans d’autres secteurs. Ce n’est certes pas faute d’intérêt ni d’efforts, mais plutôt parce qu’il s’agit d’un aspect de la recherche archéologique dont la complexité s’est confirmée au fur et à mesure même du développement des connaissances. Si l’on observe, par exemple, le phénomène du passage de la prédation à la production au Nouveau Monde (ou, en d’autres termes et principalement, de l’origine de l’agriculture), on peut faire, à l’instar de B. Stark (dans l’ouvrage dirigé par D. J. Meltzer, D. D. Fowler et J. A. Sabloff cité en bibliographie), les constatations suivantes: depuis 1965, les données sur le sujet ont été améliorées, quantitativement et qualitativement, et elles continuent de s’enrichir; certains pièges, par ailleurs, sont désormais bien identifiés et on commence à mieux les éviter (notamment, la question ne se résume pas, comme le soulignait déjà K. V. Flannery en 1973, à une pseudo-compétition à la recherche du plus ancien spécimen «cultivé» de telle ou telle espèce). Cela dit, en 1991, il existe sur cette transition fondamentale plus de schémas interprétatifs que jamais, quand bien même tous pourraient être rattachés à l’une des trois grandes familles distinguées par Stark: les explications push qui mettent en avant la détérioration des équilibres entre populations et ressources, les interprétations pull qui accordent un rôle éminent à une forte «susceptibilité» génétique supposée de certaines espèces végétales, et un troisième groupe d’hypothèses, social , selon lesquelles la mise au point de nouvelles sources de nourriture répond surtout à des motivations d’ordre social. D’autres grandes mutations ont également attiré l’attention des chercheurs; c’est le cas pour la sédentarisation, la naissance des villes, l’apparition des sociétés complexes et des États. Ce dernier phénomène se trouve au cœur des préoccupations qui ont sous-tendu de nombreux programmes de recherches ces dernières années.

Comme fruits de tous ces efforts, on peut estimer qu’on dispose aujourd’hui de listes pratiquement exhaustives des facteurs qui sont intervenus dans chacun de ces grands épisodes du changement culturel; d’un autre côté, il est désormais assez clair que les mêmes transformations ne se sont pas forcément effectuées selon les mêmes scénarios dans toutes les régions. Il reste que, pour aller plus loin, on bute à présent sur de sérieuses difficultés pour mieux structurer (ou modéliser) et quantifier un grand nombre de variables; parmi ces dernières, on citera en particulier le rôle des religions et des idéologies dans l’épanouissement de divers systèmes culturels, rôle sur lequel de plus en plus de spécialistes insistent (M. D. Coe ou D. A. Freidel dans le cas des Mayas à l’époque classique, G. W. Conrad dans celui des Incas ou A. A. Demarest à propos des Aztèques).

Faiblesses de la recherche contemporaine

Peut-être autant que dans les insuffisances et les erreurs apparues au niveau de l’interprétation ethnographique des données et de l’explication du changement culturel, les faiblesses de la recherche contemporaine résident aussi en partie dans le désintérêt relatif qu’elle a manifesté à l’égard de certains secteurs d’étude dont l’importance reste malgré tout indéniable. C’est le cas des domaines de la chronologie et de l’histoire événementielle. Du côté des datations, il est incontestable que les trente dernières années ont vu certains progrès se réaliser: des techniques se perfectionnent, comme la thermoluminescence ou celle qui est fondée sur le degré d’hydratation de l’obsidienne. En outre, le recours aux datations, au carbone 14 est à présent une affaire de routine. De ce fait, certains problèmes longtemps débattus ont été ou seront tranchés. Néanmoins, tout n’est pas résolu à partir du moment où l’on possède quelques points de repère absolus dans l’échelle du temps. Le placement chronologique des vestiges passe en effet par l’élaboration de schèmes toujours perfectibles. Même dans le bassin de Mexico, où des progrès considérables ont été accomplis, surtout pour la période qui va de 2400 à 600 avant J.-C., grâce aux travaux et découvertes de C. Niederberger et de P. Tolstoy, on est loin de disposer d’un instrument chronologique entièrement satisfaisant. Que dire des séquences grossières et floues dont on se contente pour d’autres régions? On comprend certes que l’intérêt moderne pour des problèmes avant tout synchroniques ait éloigné les archéologues des questions chronologiques, mais cette tendance, en dehors du fait qu’elle limite les études de type diachronique, fait courir des risques de confusion temporelle à certaines études contemporaines.

Proche du domaine de la chronologie et cependant différent, le souci de reconstituer la trame historico-culturelle des civilisations préhistoriques, qui fut longtemps un des objectifs majeurs de l’archéologie, a été quelque peu oublié. En conséquence, les connaissances qui relèvent de l’histoire événementielle n’ont guère progressé; paradoxalement, par exemple, on a amassé sur Teotihuacán une quantité énorme d’informations, mais les événements qui brusquement, au VIIIe siècle, provoquent la destruction et la désertion de la cité n’ont pas reçu toute l’attention qu’ils méritent, et nos certitudes restent faibles au niveau tant des faits que de leur interprétation. Dans un article en forme de parabole publié en juin 1982, K. V. Flannery avait donné du milieu archéologique américain d’alors une image assez sombre; il dénonçait en particulier un relatif abandon de la quête, sur le terrain, d’informations inédites au profit de spéculations purement théoriques. Près de dix ans plus tard, ce type de danger paraît s’estomper. Il en est d’autres. Un des plus sérieux tient sans doute au dynamisme même de la recherche: avec l’accumulation rapide des données, la spécialisation s’accentue jusqu’à compromettre les comparaisons et les synthèses dont on a vu pourtant, par le passé, qu’elles étaient sources de progrès; plus radicalement encore, l’approfondissement de nos connaissances pourrait bien pâtir en définitive d’un manque de culture générale, voire, à l’intérieur même d’une spécialité, d’une connaissance insuffisante des antécédents de la recherche.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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